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LE FIGARO

« Santé numérique : “Une révolution se prépare, il va falloir nous y habituer” »

Date de publication : 5 juin 2023

« Dans le cadre du plan France 2030 établi il y a deux ans par le gouvernement, visant à faire de la France « la première nation européenne innovante et souveraine en santé », le Pr Didier Samuel, président-directeur général de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), et Bruno Sportisse, président-directeur général d’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), se sont vu attribuer le pilotage d’un programme prioritaire de recherche (PEPR) dédié à la santé numérique. Doté de 60 millions d’euros, il sera lancé officiellement mercredi à Paris Santé Campus (Issy-les-Moulineaux) », fait savoir Pauline Fréour dans Le Figaro.
« À quoi vont servir les 60 millions d’euros du programme (…) ? », leur demande la  journaliste.
« Le PEPR santé numérique porte (…) sur des dynamiques de long terme de recherche. Le coeur du sujet est : comment acquérir des données à des échelles très différentes -la cellule, le patient, une cohorte -sur des périodes de temps et des espaces variables, et comment, au-delà de cette acquisition, les soumettre à des algorithmes pour améliorer le diagnostic, comprendre des maladies, personnaliser les traitements… », répond Bruno Sportisse.
« Derrière ces projets, il y a des applications pratiques. Cela peut se traduire ainsi par des innovations visant à prédire quel type de patient a le plus de risques de développer un AVC ou une maladie cardiaque. Cela peut aussi consister à développer un appui à l’imagerie médicale, à des fins diagnostiques ou pronostiques », complète Didier Samuel. « Par exemple, des travaux menés sur des scanners analysant l’infiltration inflammatoire dans une tumeur permettent de prédire par des algorithmes un risque plus élevé de récidive, et donc de proposer un traitement renforcé, le cas échéant », ajoute-t-il.
Concernant les « jumeaux numériques », « c’est un modèle numérique comme il en existe pour des avions, des voitures ou dans des jeux vidéo. Il peut se situer à différentes échelles : une cellule, un organe, un ensemble d’organes ou un patient. Une fois le modèle validé -pour vérifier que ce que montre l’ordinateur correspond à une réalité –, on peut le faire évoluer au cours du temps, perturber des paramètres pour voir comment réagirait un organe à une intervention, etc. », détaille Bruno Sportisse.
« Par exemple, si vous reconstruisez un foie en jumeau numérique avec une tumeur à l’intérieur, le chirurgien peut préparer son action chirurgicale et voir en simulation numérique ce que deviendrait ce foie après l’intervention en fonction du geste qu’il prévoit, comment vont fonctionner les vaisseaux qui nourrissent l’organe après l’ablation de la tumeur… », illustre Didier Samuel.
« Tout ceci permet de mieux préparer l’opération et de diminuer le risque de complications, d’éviter une chirurgie trop invasive ou de prévoir une approche différente qui va préserver tel ou tel vaisseau », assure-t-il.
« Il y a beaucoup de fantasmes autour de l’intelligence artificielle, mais il est important de souligner que dans le domaine de la santé, le « A » d’ « IA » est vraiment celui d’ « augmenté » (…). C’est une aide pour augmenter le savoir-faire humain » », affirme Bruno Sportisse. « Il faut rassurer les gens : cela ne va pas remplacer le médecin ni le chirurgien ! Nous sommes sur des appuis diagnostiques ou thérapeutiques en vue d’une meilleure médecine, davantage personnalisée », confirme Didier Samuel.
« L’investissement de l’État vise-t-il à combler un retard français ? », demande la journaliste. « Je considère que la France n’est pas en retard, car elle investit massivement et au bon moment », rétorque Didier Samuel. « Cela fait des années qu’il y a des investissements dans le numérique en santé, pas seulement financiers mais aussi au niveau des personnes. (…) Chez Inria, un tiers de nos 220 équipes communes avec l’université et d’autres organismes comme l’Inserm opèrent dans ce domaine. C’est le résultat d’années et d’années de rapprochement entre les deux communautés, médicale et numérique », assure Bruno Sportisse.
Concernant le PEPR, « dix-sept projets ont déjà été identifiés autour de deux grands axes : les pathologies cardio-vasculaires et neurologiques. L’enjeu consiste à les développer encore davantage. Cela comprend plusieurs partenariats avec le CNRS, des universités, des CHU, le CEA… », explique Didier Samuel. « Dans un second temps, nous prévoyons des appels à projet libres, possiblement au-delà du cardio-vasculaire et de la neurologie », ajoute-t-il.
« Derrière ces financements publics, il y a clairement l’idée de ne pas s’en tenir à la recherche et qu’il y ait une application pratique. France 2030 est très axé là-dessus. Chaque projet comprendra ainsi un volet important sur la valorisation », reprend Didier Samuel.
« La France sait depuis plusieurs années créer des start-up dans ces domaines, comme InHeart, qui propose de la modélisation cardiaque en prévision d’interventions chirurgicales. Il existe un écosystème pour accompagner ces entreprises. C’est d’ailleurs ce que veut incarner le lieu Paris Santé Campus, lancé il y a trois ans par le président de la République », ajoute Bruno Sportisse. Didier Samuel cite ainsi « Cibiltech, cofondée à partir des travaux du Pr Alexandre Loupy, qui commercialise un algorithme de prédiction du risque de rejet de greffe rénale » et dont « l’algorithme a obtenu la validation de l’agence du médicament américaine (FDA) ».
Concernant les « obstacles » éventuels, « l’attractivité de la recherche en France est un défi et cela a fait l’objet d’une prise de conscience [des pouvoirs publics], [comme] dans la loi de programmation de la recherche créant les chaires de professeur junior, dans les annonces du président de la République il y a quelques semaines sur l’instauration de chaires d’excellence, ou dans des offres salariales plus élevées pour nos chercheurs », estime Didier Samuel.
« Il y a évidemment des difficultés à recruter des talents, mais les signaux sont tellement positifs sur la recherche et l’innovation que, même dans le champ de la compétition numérique, nous sommes capables de faire revenir des talents et d’être attractifs », assure Bruno Sportisse.

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